Samedi 6 juillet 2019
Introduction
Après avoit bouclé l'Eiger Ultra Trail E101 en 2018, Seb et moi avons décidé de monter la barre en 2019 et de tenter la redoutable X-Alpine, l'épreuve reine du Trail Verbier St-Bernard.
Ce CR a pour objectif de documenter ma préparation et ma participation à la X-Alpine et de présenter cette course hors normes aux curieux et aux trailers qui voudraient s'y préparer.
Voir aussi l'activité Strava et l'album photo sur Facebook.
Profil et parcours
La course part de Verbier jusqu'à l'Italie et retour. Avec 111 K et 8400 D+, la X-Alpine est réputée pour être une des courses de montagne les plus difficiles d'Europe. Même si ses dimensions peuvent paraître modestes en comparaison de l'UTMB, le profil et la nature du terrain font que plus de la moitié des partants abandonnent en cours de route ou ne finissent pas la course dans les 35 heures imparties.
Comme à mon habitude, j'ai évité toute reconnaissance du parcours pour garder intact le plaisir de la découverte. Je n'ai donc pas mis les pieds dans le Val de Bagnes depuis mon inscription au moins d'octobre. Pareil pour le parcours, je sais en gros qu'il y a deux grosses montées, une au début une à la fin, ça me suffit pour savoir comment doser mon effort. Pour le reste, je gère durant la course en regardant le profil sur mon dossard.
Bon, je me suis quand même renseigné un minimum pour éviter les mauvaises surprises, mais pas beaucoup plus que ça :
L'entraînement
Parce qu'elle a lieu le premier week-end de juillet, la X-Alpine est un des premiers gros trails de la saison. Les coureurs sont donc relativement moins entraînés qu'à la fin de l'été. Surtout cette année où il a beaucoup plu au mois de mai. Et pour moi qui ai dû arrêter de courir plusieurs semaines en mars-avril après m'être foulé la cheville. Avec 1230 Km et 35800 D+ depuis le début de l'année, j'étais donc un peu moins bien entraîné qu'avant l'Eiger où j'avais 1020 Km au compteur, mais surtout 49200 D+.
Car s'il fallait résumer l'entraîement au trail à un chiffre, pour moi c'est vraiment le D+. Il est juste indispensable d'avoir l'habitude de passer des heures tout seul à grimper sur les montagnes pour venir à bout d'une épreuve comme celle-ci. C'est là que le bât blesse, car contrairement à ma préparation pour l'Eiger, je n'ai pas pu faire de très longues sorties cette année. Les plus importantes étant celles-ci :
Une grosse rando (Strava, photos) le dernier week-end, un petit rappel de 10 K 150 D+ trois jours avant et voilà.
Je me présente donc au départ d'une course plus longue et plus difficile que celle de l'année précédente, tout en étant moins bien entraîné. Le défi reste néanmoins réalisable, mais il va falloir bien gérer la course, avoir de la chance et ne pas commettre d'erreurs.
L'hôtel
J'ai eu la chance de pouvoir dormir à l'hôtel Phenix, idéalement situé à une minute du départ. Un choix particulièrement judicieux pour qui a besoin de sommeil avant la course et ne veut pas s'embêter avec la route, les parkings et les navettes. Très pratique aussi pour ceux qui, comme moi, apprécient de retrouver leur petit confort à l'arrivée. Avec un parking couvert et gratuit, c'est juste exceptionnel. D'autant plus que la manager Claudia s'est montrée très sympathique et prévenante, me préparant un petit déjeuner nocturne avec un gentil mot d'encouragement. Je ne peux donc que recommander chaudement cet hôtel parfaitement adapté.
Le retrait des dossards
Le retrait des dossards et le briefing se font bien sûr la veille, mais au Châble, un village à 15 minutes en dessous de Verbier, dans une grande salle polyvalente avec un téléphérique pour Verbier et un grand parking.
Il y a certes un "village" c'est à dire des stands commerciaux où l'on peut acheter tout l'équipement du parfait trailer (nourriture, vêtements, chaussures, bâtons, appareils de massage etc) mais c'est tout à fait adapté je trouve, pas comme le "village" de la Maxi-Race, où il faut slalomer entre des dizaines de stands pour aller retirer son dossard.
Ces quelques stands sont largement suffisants et très bien fournis. Les coureurs à qui il manquerait quelque chose y trouveront tout le matériel nécessaire. J'en ai profité pour acheter quelques barres protéinées, moins par besoin réel que pour tuer le temps et sans doute me rassurer un peu.
Les coureurs reçoivent un simple dossard avec une puce, ainsi qu'une étiquette RFID à accrocher au sac. Pas de balise GPS ni de boîtier pour les appels d'urgence comme sur l'Eiger. Les coureurs reçoivent également un drop-bag, c'est à dire un sac poubelle 60 litres dans lequel ils peuvent placer ce qu'ils veulent pour le retrouver à Bourg St-Pierre, aux 2/3 de la course.
L'équipement
Le matériel obligatoire :
Le contenu de mon fidèle sac Oxsitis Hydragon 10 litres :
Le contenu du mon drop bag :
J'ai en partie conservé la même organisation que pour l'Eiger Ultra Trail E101. Concernant les chaussures, je suis parti avec mes Hoka One One Mafate, des chaussures très profilées avec un très gros amorti, celles que j'utilise pour les sorties longues et la haute montagne. J'ai mis dans le drop bag des Hoka One One Challenger, celles que j'utilise pour les petits entraînements, mais je ne m'en suis pas servi.
En revanche, contrairement à l'Eiger, je n'ai pris qu'un seul iPhone, mais deux power bank : une avec moi et une dans le drop bag. J'ai aussi changé de montre. Je n'utilise plus ma Suunto Ambit 3 Run, mais une Garmin Instinct, plus légère et supposée plus endurante. J'ai désactivé les pulsations cardiaques pour gagner de l'autonomie. J'ai aussi utilisé la recharge en cours d'activité, qui ne fonctionne que si l'on désactive le mode mass storage USB dans les réglages de la montre. Je l'ai rechargée à deux reprises, après 10h à chaque fois.
Concernant l'iPhone, je l'utilise pour :
Pour la carte et le chemin, j'ai importé le GPX de la course dans MapOut. Et pour suivre le classement, j'ai défini une liste de coureurs dans LiveInfo pour recevoir des pushs à chacun de leurs passage (service facturé 9 CHF / an). Je conservais ainsi l'iPhone en mode avion (pour économiser l'énergie) et je le réactivais de temps en temps pour recevoir les pushs et garder un œil sur le classement.
Concernant les bâtons, le réglement précise : "si vous choisissez de prendre des bâtons, vous devez les avoir tout au long de la course". Ça doit être pour éviter que certains les utilisent à la montée avant de les remettent à leur staff et de les récupèrer plus loin. Personnellement je ne me suis jamais habitué aux bâtons, je suis donc parti sans, et bien que je n'ai pas le droit d'en prendre en cours de route je les ai quand même glissés dans mon drop bag en mode "on sait jamais" mais je ne les ai finalement pas touchés.
Le briefing
Assez efficace et synthétique, le briefing a eu lieu de 17:45 à 18:15, présenté en français par Tiphaine Artur et répété en anglais par un autre organisateur. Comme à tous les briefings, il n'y a en principe pas de surprises. J'attendais surtout des nouvelles de la météo, annoncée orageuse dans la soirée. Mais là aussi, tout est en réalité sur le site. Je pense que c'était la dernière fois que j'assiste à un briefing. Trop de temps perdu et trop de monde alors que les informations sont disponibles sur Internet. Sans doute est-ce surtout utile à ceux qui ont besoin de ressentir un peu de ferveur et de communion pour se concentrer et conjurer leurs angoisses. Je suis donc remonté à Verbier après de gros embouteillages pour quitter le Châble.
La Pasta Party chez Martin
Certains consacrent des articles entiers à l'alimentation, pas moi. J'ai seulement quelques principes mais rien de très scientifique :
Parmi les coureurs de Leman Trail avec qui nous devions partager le repas, Mark et Marc-Henri ont préféré se coucher tôt en vue de leur départ à 3h. J'ai donc mangé avec Kevin et David ainsi que leurs copines respectives. Mais sans Seb malheureusement, qui a dû renoncer à prendre le départ en raison d'une méchante entorse par encore tout à fait guérie.
Je ne sais plus qui nous a suggéré le restaurant Chez Martin mais nous ne l'avons pas regretté. Juste à côté du départ, ce restaurant propose sur une grande terrasse un buffet de salades et une pizza ou des pâtes (4 sauces et fromage) et des lasagnes à gogo ainsi qu'une grande boisson pour seulement 25 CHF ! Autant dire qu'à ce prix là nous ne nous sommes pas fait prier pour faire le plein. Je recommande donc également vivement le restaurant Chez Martin la veille de la course.
Pas de folies après le repas. Je suis rentré vers 20h45, je me suis couché et j'ai lu les CR de Grego on the Run pour me focaliser sur la course. J'ai notamment retenu deux choses importantes. La première, c'est qu'une grande partie des abandons ont lieu à La Fouly, après 47 K et 4000 D+. Au fond, c'est là que se joue le "finisher". Il faut être prêt à serrer les dents à cet endroit là et à avancer jusqu'au Grand St-Bernard où l'on verra les choses tout différemment. La seconde, c'est une petite phrase que l'on peut se répéter dans les moments difficile : « Une douleur éphémère pour une fierté éternelle ». Je me suis donc endormi vers 22h, pour un réveil à 4h.
Car il y a en fait deux départs : un à 3h (~350 personnes) et un autre à 5h (~250 personnes). Personellement j'ai préféré dormir 2h de plus et partir à 5h, quitte à être un peu plus serré sur les premières barrières horaires, mais qui sont tout de même assez larges.
Estimation du temps
Je prévois d'arriver en début de matinée à Verbier, pour un temps de course d'environ 26 heures. D'où sort cette estimation ?
Premier calcul : les kilomètres efforts + la marge
111 Km + 8400 D+ = 195 kilomètres effort = 19h30 + environ 5 heures à cause de la nuit, de la fatigue, des ravitaillements et des imprévus, ça donne environ 25h.
Deuxième calcul : le premier quart des finishers
Si tout va bien, je me retrouve généralement dans le top 15% des coureurs, ce qui correspond à la 75ème place sur environ 500 coureurs. Et en 2018 le 75ème est arrivé en 26h30 environ.
Troisième calcul : trouver un coureur équivalent
Une autre manière d'estimer son temps, c'est de se calquer sur un traileur d'âge et de niveau équivalent. Comme par exemple Grégory Molinaro alias "Grégo on the run", 43 ans, côte ITRA de 607, 26h39 en 2017 et 25h46 en 2018. Étant un tout petit peu plus jeune avec une côte de 667, je peux espérer faire un tout petit peu mieux.
L'ordre de grandeur de 26 heures me paraît donc plutôt réaliste. Ceci dit, entre les orages annoncés dans la nuit, le taux de finishers inférieur à 50% et le fait que je n'ai jamais couru aussi longtemps, j'aborde ce trail avec beaucoup d'humilité. Mon objectif sera atteint si j'arrive au bout, et je serai heureux si je ne dépasse pas 26 heures.
Le site fournit bien des temps indicatifs, mais c'est ceux-là que j'ai noté dans mon iPhone :
Le départ
Voilà donc le moment du départ. Après une bonne nuit de 22h à 4h et un petit déjeuner rapide (café, jus d'orange et tartelette) j'arrive dans le sas de départ à 4h40. Il ne fait pas froid. L'ambiance est un peu tendue. Je suis assez serein mais surtout concentré, comme avant un examen important. Je me promets de tout faire pour la terminer, quitte à aller très lentement s'il le faut. Je sais que le plus difficile sera la 2ème partie, et que l'aisance dans la 2ème partie se joue lors de la 1ère partie. Autrement dit, il faut absolument que j'arrive en la meilleure forme possible à La Fouly (presque la moitié du parcours), là où beaucoup seront tentés d'abandonner. La principale inconnue pour moi ce sont les orages, que l'on annonce comme à peu près certains dans la soirée.
Le profil de la course sur le dossard, la représentation que l'on utilise pendant la course.
Du départ à Sembrancher
Et voilà la course qui commence, avec une petite mise en jambe dans la forêt et les racines jusqu'au petit ravitaillement de Sembrancher et sa tresse à la confiture. Je pars très très tranquille et je retrouve rapidement David. Nous sommes dans la queue du départ de 5h, nous avons pas mal de monde autour de nous et il est difficile d'aller vite. Je décide de rester papoter avec David et d'avancer tranquillement au rythme du groupe pour économiser mes forces.
La montée du Catogne
J'adopte une allure de randonneur dans la montée du Catogne, "le volcan du Valais". Je discute toujours avec David. À l'approche du sommet, nous voyons déjà certains coureurs s'asseoir et appeler leurs proches. Parmi eux, les premiers abandons. La montée n'était pourtant pas si méchante, mais sans doute que certains commencent à réaliser qu'ils se trouvent bien sur la X-Alpine, et que ce premier mur de 1900 D+ n'est que le début d'un long périple.
Descente à Champex
Je suis très surpris dans la descente du Catogne direction Champex, surtout la première partie. Le terrain est extrêmement difficile, fait de racines, de sentiers de poussière très raides, de pierre en forme de lames dressées autour de nous. Certains passages sont très exposés, on s'accroche aux chaînes. Ce morceau là est sans doute le plus périlleux. Il demande de rester très concentré tout en évitant de se crisper inutilement. La fin est un peu moins compliquée mais la barrière horaire qui impose de quitter Champex avant 11h ajoute un peu de piment pour ceux qui sont partis à 5h. J'ai perdu David au début de la descente.
Montée au Col de la Breya
La montée au Col de la Breya se fait d'abord le long d'une rivière très rafraîchissante dans laquelle je n'hésite pas à plonger ma gourde, puis dans la forêt et enfin dans un pierrier.
Montée à la cabane d'Orny
J'adore cette partie. La seule que je connaissais déjà, en fait ! En arrivant à Orny, le point culminant de la X-Alpine à 2831 m, plusieurs coureurs commencent à fatiguer. On voit des gens assis sur les cailloux, ce qui à mon avis est une grave erreur. Ne JAMAIS s'asseoir entre deux ravitaillements ! On croise les coureurs qui viennent de se faire contrôler et qui descendent à Saleina.
Descente à Saleina
Ce morceau est aussi très beau. On passe notamment devant le glacier de Saleina. Les coureurs sont maintenant passablement éloignés les uns des autres.
Montée douce jusqu'à la Fouly
Cette partie n'a pas vraiment d'intérêt, si ce n'est au niveau de la gestion mentale. J'arrive au ravitaillement après une longue montée en faux plat. On est presque à la moitié de la course, et c'est là qu'ont lieu beaucoup d'abandons. Au ravitaillement, les accompagnants sont là. Je les observe restaurer leurs champions, essayer de discuter, de plaisanter. Mais il faut bien reconnaître que cette forme de soutien est ambivalente. Pour des coureurs exténués qui hésitent à se lancer dans la 2ème moitié de cette X-Alpine, la présence des proches représente une main tendue vers l'abandon. Ils savent qu'ils sont à 5 minutes de la voiture. "Tu es sûr que tu veux continuer ? Si tu es fatigué, il vaut peut-être mieux éviter de te blesser. On annonce des orages !". Alors hop, je change de chaussettes, je mets ma montre en charge et je bois un bouillon. Il est 15h30, j'enfile ma veste et je repars sous la pluie fine qui commence à tomber.
Montée au Col de Fenêtres
Cette montée commence sur un long chemin carrossable. Le soleil joue à percer les nuages. Les paysages sont verts et très vastes. Tout à coup, je me fais héler : "Hé Nico !". C'est Léon, mon collègue des RH, qui boit un verre dans une buvette d'alpage ! Nous échangeons quelques mots. Oui oui, je vais bien parcourir 111 Km et j'arriverai demain. Sympa, et à lundi :) Je continue et j'apprends en allumant mon iPhone que David a abandonné à La Fouly. Il n'avait pas prévu d'avancer aussi lentement et préfère abandonner maintenant pour profiter de son week-end que d'arriver trop tard dimanche. J'approche du col. Je ne connaissais pas du tout cet endroit. On arrive vers un groupe de lacs d'altitude très photogéniques. On traverse quelques névés. Dommage que le soleil soit si timide. De l'autre côté, c'est l'Italie !
Descente à l'Hospice du Grand St-Bernard
Peu après le col, on retrouve la route puis le ravitaillement de l'Hospice du Grand St-Bernard. J'y reste quelques minutes, le temps de boire un bouillon et d'apprendre que les orages devraient arriver vers 22h. Le prochain objectif est maintenant Bourg St-Pierre, où je retrouverai mon drop bag. Je ne me suis jamais autant réjoui de retrouver un sac poubelle !
Montée au Col des Chevaux
Avant d'arriver à Bourg St-Pierre, il faut d'abord passer quelques névés pour atteindre le Col des Chevaux, en haut duquel nous attendent un bénévole et sa tente. Pas de contrôle ? Apparemment, c'est plutôt pour surveiller que tout se passe bien.
Descente sur Bourg St-Pierre
La descente sur Bourg St-Pierre est sauvage et interminable. Je passe devant une pizzeria, comme un extra-terrestre devant la planète Terre. J'arrive au ravitaillement à la tombée de la nuit. C'est la première "base de vie", c'est à dire que l'on arrive plus dans une tente mais dans une salle de gym où l'on peut manger un repas chaud, en l'occurrence des spaghettis à la tomate. Je sais que je vais devoir repartir pour marcher toute la nuit alors je fais une bonne pause, quitte à perdre quelques places. Je mange, je change de chaussettes et de t-shirt, je récupère ma 2ème power bank. Ce sont en fait les seules choses que j'ai prises dans mon drop bag. Je vois d'autres personnes abandonner autour de moi : "Mais oui, et puis c'est mieux d'arrêter et de garder ta santé...".
Montée à la Cabane de Mille
Je repars fissa, ma lampe frontale en main. Oui je sais c'est curieux, mais je ne porte pas ma lampe sur la tête, je préfère la tenir à la main. Encore un avantage de courir sans bâtons :) Je quitte Bourg St-Pierre en passant devant les néons d'un hôtel comme Ulysse près des sirènes. Puis commence une interminable montée dans la nuit vers la Cabane de Mille. À un moment un vent puissant se lève et il commence à pleuvoir. Je suis certain que je vais prendre un gros orage, mais non, finalement, je crois que tous les coureurs ont échappé au pire. Dans l'obscurité, il est beaucoup plus difficile de s'orienter. J'essaie de me repérer d'après l'altitude et avec les lueurs de la procession de lampes frontales que je distingue sur la montage, mais le chemin est sinueux. L'absence de paysage commence à me faire trouver le temps vraiment long. Peu importe, je sais qu'en ayant passé Bourg St-Pierre que je serai très probablement finisher. Il reste deux grosses montées. Je m'accroche à une variante de la phrase lue la veille : "une souffrance éphémère pour une fierté éternelle". Au loin, des éclairs frappent le Catogne.
La descente sur Lourtier
On m'avait annoncé que la descente serait longue, je sais donc à quoi m'attendre. Je dois rester concentré pour déjouer les pièges de l'obscurité. Ne pas se perdre, ne pas tomber, traverser les rivières. Je m'occupe en essayant de dépasser des gens. Je parle un moment avec un gars très sympa, Christophe, un français qui a fait l'UTMB 4 fois ainsi que d'autres ultras, et qui trouve que la X-Alpine est beaucoup plus difficile car plus technique. J'arrive enfin à Lourtier, la 2ème base de vie. Il paraît qu'il y avait du risotto mais je n'en ai pas vu. Il est 3h du matin et j'essaie de ne pas m'arrêter trop longtemps pour ne pas me refroidir. Il faut par contre que je prenne un peu de forces car un dernier mur nous attend avant la descente sur Verbier. Je sais grâce à LiveTrail que Emeraude, qui est partie à 3h la veille, est quelques minutes devant moi. J'espère arriver à la rattraper avant Verbier.
Montée à la Chaux
Je repars en discutant avec un trailer à l'accent jurassien, que j'abandonne rapidement pour me concentrer sur cette dernière montée de 1200 D+ tant redoutée des coureurs de la X-Alpine. Je continue de gagner des places, non parce que je monterais spécialement vite, mais parce que beaucoup montrent des signes d'épuisement. Je suis moi-même étonné que mes jambes continuent d'être efficaces, et toujours sans bâtons. Je suis déjà grisé par la victoire qui s'annonce. Je commence à "lâcher les chevaux" et j'arrive au ravitaillement du télécabine de La Chaux avec le lever du jour. Je ne prends pas le temps de m'y arrêter et décide d'"envoyer" dans la descente sur Verbier.
Dernière descente et arrivée
Je suis fatigué et j'ai les jambes un peu raides, mais suis tellement impatient d'arriver à Verbier que je me laisse aller dans la descente. Je rattrape enfin Emeraude 3 ou 4 km avant l'arrivée. Je la salue mais je continue, bien décidé à me faire plaisir sur ces derniers kilomètres.
En arrivant dans le village, je suis assailli par une bouffée d'émotion. J'y suis ! J'ai fait le tour de la vallée !! incroyable, non ? Je prends soin de saluer et remercier les gens qui se sont levés pour voir arriver les coureurs. Je passe sous l'arche d'arrivée à 6h14. Je termine 62ème au scratch, et 17ème de ma catégorie VH1 en 25h14.
Je suis bien sûr fatigué, mais encore tout à fait capable de marcher et même de courir. Je suis surtout très heureux d'être venu à bout de ce défi que j'ai préparé pendant plusieurs mois. En effet, cette année encore, le taux de finishers est de seulement 40% (232 finishers sur 575 inscrits).
Photo et prix finisher
À l'arrivée nous attendent une séance photo et un prix finisher. Je m'attendais à un t-shirt "X-Alpine 111 K Finisher" mais non, nous avons reçu un petit sac à dos de trail. J'aurais vraiment apprécié de recevoir un prix finisher qu'il ne soit pas possible d'obtenir avec de l'argent, mais bien réservé aux coureurs étant venus à bout de la course. J'ai déjà suggéré cette amélioration pour la prochaine édition.
Je regrette aussi que le parcours ne soit pas passé par la cabane et le glacier de Panossière, contrairement à la X-Traversée. Ça a l'air d'être un lieu absolument magique, mais ça n'est pas grave, j'irai en OFF ! :)
Après avoir regardé Émeraude arriver, je pars chercher mon dropbag dans le dépôt des cars postaux qui se trouve juste en face de l'hôtel. J'ai pu manger une tarte et une pomme, me laver les dents (quel bonheur après 26h !), prendre un bon bain et dormir de 9h à 14h grâce au "late checkout" que l'hôtel m'a gentiment accordé sans frais supplémentaires. Merci encore l'hôtel Phenix !
Cérémonie et Pizza
J'ai choisi de ne pas assister à la cérémonie de clôture qui avait lieu à 13h. On m'avait dit que tous les finishers de la X-Alpine étaient appelés nommément sur l'estrade, ce qui peut être plutôt sympa, mais apparemment ça n'était pas le cas cette année.
À 14h30 je suis retourné Chez Martin pour manger une pizza avec Kevin et Noémie et débriefer avant de repartir. Je suis vraiment très impressionné par la course de Kevin, qui du haut de ses 23 ans a terminé 28ème en 22h29. Avec une meilleur gestion de course et un meilleur dosage de ses efforts, je n'ai aucun doute qu'il est capable de terminer dans le top 20 et même au delà.
Le bilan
Je suis vraiment content de ma course. Déjà, je suis finisher de la X-Alpine ! c'était l'objectif principal. De plus, j'ai réussi à atteindre mon objectif sans utiliser de bâtons, ce qui corse un peu la chose, avouez-le. Et puis j'ai eu de la chance : pas de blessures, pas de douleurs, pas de gros coup de mou, pas de grosses chaleurs ni d'orages. Pas non plus de panne de montre ou de maux de ventre, encore moins de vertiges ou d'hallucinations; rien qui ne soit venu me déstabiliser. J'ai dosé mes efforts correctement, ce qui m'a permis de ne pas souffrir et de regagner des places de manière constante tout au long de la course. J'ai même pu me permettre de courir dans la dernière descente sur Verbier, ce qui n'est pas le cas de tout le monde. Alors bien sûr on peut toujours faire mieux, mais je considère que j'ai fini tout à fait honorablement grâce au fait que j'ai su me modérer dans la première partie de la course et que j'ai joué la carte de la prudence. Si je devais faire quelque chose différemment, ce serait surtout un entraînement un peu plus poussé (je ne fais aucune préparation physique), mais pas grand chose d'autre pendant la course elle-même.
La gestion mentale
L'aspect mental est bien sûr fondamental sur un ultra. Il faut gérer la distance, la solitude, la nuit, l'effort, la météo, les petits bobos voire pour certains les angoisses existentielles. Il est essentiel de rester calme et positif. À chacun de trouver ce qui peut l'aider à rester serein.
On peut penser à la chance que l'on a de pouvoir prendre le départ d'un ultra-trail. Par rapport à ceux qui sont en mauvaise santé, qui ont des handicaps ou qui sont blessés. À ceux qui n'ont pas le temps de s'entraîner ou de vivre dans des régions montagneuses. À ceux qui n'ont pas pu s'inscrire, ou qui n'ont pas pu venir. À ceux qui ont abandonné. Et puis bien sûr à tous ceux qui nous soutiennent et nous font confiance. On peut se dire qu'on a pas le droit de cracher dans la soupe et d'abandonner parce que c'est trop long ou qu'il fait trop chaud. On peut aussi préparer à l'avance des thèmes à réfléchir pour s'occuper pendant la course, des projets professionnels ou personnels.
Il faut oublier l'impatience et la distance, pour s'intéresser à la manière de se déplacer en s'économisant le plus possible. En gardant un rythme cardiaque raisonnable à la montée, et en minimisant les chocs et les crispations à la descente. Découper la course en visant la prochaine étape : "une descente de 1300 D-", "une montée de 850 D+", "passer le col", etc. Faire des photos !
Et pour les petits problèmes, il faut les mettre de côté et se dire qu'on les réévaluera au prochain ravitalliement. L'immense majorité du temps, ils auront disparu ou on les aura oubliés.
Épilogue
Voilà pour le récit de ma X-Alpine. Comme à mon habitude, je ne referai probablement jamais ce trail, car je ne cours jamais deux fois la même course. Ça serait pour moi comme retourner en vacances au même endroit, ou voir un film une deuxième fois. Sans la découverte, cela perdrait beaucoup de son intérêt. Sans compter que je ne voudrais pas risquer de réaliser une moins bonne performance.
Après la Maxi-Race en 2017, l'Eiger en 2018 et la X-Alpine en 2019, je ne pense pas "monter la barre" l'année prochaine. En effet, j'aurai autre chose à faire puisqu'en plus de travailler à 100% et de m'occuper de mes enfants, je vais me lancer dans un MBA, ce qui va occuper une bonne partie de mon esprit et de mon temps libre. Rendez-vous donc en 2021 pour un prochain CR :)
Remerciements
Je remercie tous ceux qui m'ont soutenu et aidé à pouvoir vivre cette aventure, à commencer par ma femme qui m'a soutenu et s'est occupée des enfants pendant mes entraînements et mes sorties en montagne. Je remercie tous ceux qui m'ont suivi sur LiveTrail. Je remercie les copains pour leurs messages et leurs encouragements (Seb, Anton, Aurélia, Jenny, Coralie, ...), je salue tous les membres de Léman Trail (grosse pensée pour Ann-C qui est en train de traverser les Alpes) et les traileurs qui étaient à Verbier (David, Kevin, Émeraude). Je salue mes collègues de Swissquote Run et aussi mon équipe à Swissquote, toujours au top !
Relive 'X-Alpine 2019'